La Suède un maillon fort de l’OTAN et de l’UE

Entretien de Joseph Henrotin (DSI) avec Lars Wedin, capitaine de vaisseau (R) de la marine suédoise, ancien rédacteur du Tidskrift i Sjöväsendet (TiS) de l’Académie royale des sciences navales et membre associé à titre d’étranger de l’Académie de marine.

Comment voyez-vous la situation géostratégique de la région Nordique après l’adhésion de la Finlande et la Suède dans l’OTAN ?

La zone nordique et baltique apparaît comme un ensemble géopolitique entouré de mers : la mer de Barents, la mer de Norvège, la mer du Nord et la mer Baltique.  Une stratégie maritime, dans le sens de Corbett, serait donc naturelle. Il convient toutefois de distinguer trois sous-domaines.

La zone la plus septentrionale est la Calotte Nord avec la mer de Barents et la mer de Norvège. Stratégiquement, elle est liée à plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’Arctique, avec la navigation et l’extraction d’autres ressources, devient de plus en plus important à mesure que la glace polaire fond. Deuxièmement, voici le « bastion » où la Russie a basé ses sous-marins nucléaires stratégiques. Troisièmement, et c’est peut-être le plus important, la mer de Barents – mer de Norvège est la voie d’accès à l’Atlantique pour les forces navales russes.

D’un point de vue stratégique, la zone de la mer Baltique commence dans la mer du Nord et s’étend via les débouchés de la mer Baltique dans la mer Baltique proprement dite y compris la mer de Botnie. Tous les États de la région nordique et baltique dépendent de cette voie de communication. Il y a deux aspects principaux à cela : premièrement, la navigation marchande vitale et, second, la capacité de l’OTAN à renforcer les États de la région en cas d’agression russe.

Göteborg est le plus grand port de Suède et de Norvège, mais d’autres ports suédois importants sont Stockholm (Norvik), Gävle et Luleå. Pour la Finlande, les États baltes et la Pologne, le transport maritime via la région de la mer Baltique est vital.

La troisième zone est la longue frontière avec la Russie, de la Calotte Nord à Kaliningrad – avec une séparation pour le Golfe de Finlande. En termes de stratégie continentale, la Pologne et l’Allemagne peuvent être considérées comme appartenant à l’Europe centrale. Si l’OTAN command la mer Baltique, il sera possible de faire changer la direction principale militaire selon les circonstances.

L’ensemble de la zone est lié de plusieurs façons. La plus évidente est la communication par voie maritime et aérienne. Pour la Russie, il est clairement important de pouvoir relier les bases du nord à Saint-Pétersbourg et Kaliningrad. Les trois navires de débarquement qui ont visité la mer Baltique en route vers la mer Noire juste avant le déclenchement de la guerre en 24 février en sont la preuve. Mais en temps de guerre et de crise, il est également important que la Russie puisse déployer des sous-marins de la flotte du Nord contre nos lignes de communications en mer du Nord, dans les débouchés de la mer Baltique et dans la mer Baltique.

Les armes de longue portée est un autre facteur d’unification. Une corvette avec des missiles Kalibr peut frapper Stockholm depuis la mer Blanche !

L’entrée dans l’OTAN de la Suède et de la Finlande change le rapport de force en Baltique. Que peut-on y dire de l’activité navale et aérienne russe ces derniers mois ?

L’activité de la marine russe se concentre sur les exercices et les croisières d’essai, comme par le passé. Les troupes de marine de la Flotte de la Baltique est déployée en Ukraine et a probablement besoin d’être renouvelés. L’aviation russe fait des manœuvres agressives, surtout contre les États-Unis.

Il faut souligner que la Marine et l’Armée de l’air suédoise surveillent les activités russes très étroitement.

L’île de Gotland est une position stratégique. Peut-elle constituer le cœur d’un « A2/AD à la suédoise » ?  

Oui, ce sera possible et souhaitable. Gotland peut constituer le noyau d’une stratégie suédo-finlandaise d’A2/AD – c’est-à-dire que nous pouvons créer une zone d’interdiction autour de l’île et ainsi contrôler le nord et le centre de la mer Baltique, y compris l’espace aérien au-dessus.   Cela peut se faire à l’aide de capacités de défense aérienne et navale à longue portée : le Patriot de l’Armée de terre suédoise, les capacités de défense aérienne et navale de l’Armée de l’air suédoise, les corvettes des marines suédoise et finlandaise équipées de missiles anti-aériens et antisurface, les missiles côtiers terrestres et les torpilles à longue portée des sous-marins suédois. Coordonnés, ils fournissent une capacité de projection de force difficile à vaincre.

Une adhésion à l’OTAN implique le développement d’une interopérabilité sur de très nombreux plans. La Suède peut-elle y faire face rapidement ?

La Suède a depuis des années 90 développé l’interopérabilité avec l’OTAN et nos unités participent régulièrement dans des exercices et opérations de l’OTAN. Pour la Marine, les réglementations de l’OTAN sont généralement respectées. Les ordres et les rapports sont rédigés en anglais, même lors des exercices et des opérations nationales. De grandes parties de la documentation de l’OTAN, même le secret, est disponible.

Les Forces Armées ne disposent pas actuellement de la capacité de se connecter au réseau de commandement et de contrôle de l’OTAN ; il nous manque, évidemment, des clés de crypto. Mais cela va se résoudre avec notre adhésion.

Les officiers de la Marine jouent souvent le rôle de commandants de forces navales dans le cadre des exercices. En outre, l’OTAN met particulièrement l’accent sur la participation des corvettes suédoises aux exercices Trident Juncture et Baltops.

La Marine a également un rôle clair dans la Joint Expeditionary Force dirigée par les Britanniques et notre expertise, notamment dans les aspects de l’environnement sous-marin, est très appréciée.

Pour l’Armée de terre, les systèmes de commandement etc. sont essentiellement nationaux. L’interopérabilité est relativement peu développée sauf envers la Finlande.

L’interopérabilité de l’Armée de l’air reste une capacité clé et nous avons déjà un niveau très élevé d’interopérabilité. Cette situation sera encore améliorée avec l’adhésion à l’OTAN. Des exercices conjoints très fréquents ont lieu dans la région de la mer Baltique avec toutes sortes d’acteurs, ainsi qu’avec la Bomber Task Force (B-1 et B-52 américains) qui opère au-dessus de la Scandinavie. La guerre de 2022 en Ukraine a renforcé les liens entre la Suède, la Finlande et l’Aircom de l’OTAN en matière de défense aérienne européenne.

Depuis 2014, la Suède a changé de posture : après avoir largement réduit ses forces après la guerre froide, elle cherche maintenant à remonter en puissance. Comment envisagez-vous l’évolution de sa marine dans les 15 prochaines années ?  

Pour la Marine, la loi de programmation de 2020 prévoie des améliorations telles que la rénovation des corvettes – les deux types Gävle se sont déjà mise à niveau – et l’introduction de des missiles défense aérienne et autres mises à niveau pour les corvettes type Visby. Deux nouvelles corvettes seront délivrées avant 2030 et encore deux après. Mais elles seront plutôt des remplacements des anciens corvettes. Deux sous-marins, type Blekinge (A26), sont en chantier et deux sous-marins type Gotland se sont rénovés. Il y aura un nouveau concept amphibie où l’efficacité contre les cibles maritimes et la mobilité sont clairement établies. Puis il y aura une refonte du système la logistique et une modernisation générale des équipements existants

Avec la guerre d’Ukraine toutes les parties politique sont d’accord sur un renforcement au plus tôt de nos Forces Armées. On parle d’un cinquième sous-marin mais tout est dans l’air à cause des élections générales le 11 septembre at la crise économique.

Quelle marine dans 15 ans ? Le plus important sera une conscience politique de l’importance de la mer en général : communications, énergie, ressources naturelles et la nécessité de pouvoir protéger nos intérêts à la mer. Comme membre de l’OTAN et de l’UE la Marine – en coopération avec celles des pays alliés – devrait être en mesure de protéger les lignes de communication dès la mer du Nord via les débouchés de la mer Baltique jusqu’à la mer Baltique proprement dite. Il faut aussi être en mesure de sécuriser les chenaux de navigation dans les archipels et les grands ports. Il faut aussi pouvoir défendre des champs d’éoliens ainsi des câbles électriques et de donnés sur le fond de la mer. Avec les nouveaux missiles anti-aériens, nos corvettes deviennent des maillons importants dans le système national de défense aérienne.

Mais il faut aussi être en mesure à contribuer à la sécurité maritime commune de l’UE – aussi dans des parages lointains.

Aujourd’hui, la Suède a deux flottilles de surface – une près de Stockholm et une dans le sud, à Karlskrona, chacune avec des corvettes et des bâtiments de guerre de mine. Il nous faut en une aussi dans l’ouest mais avec des bâtiments plus costaud compte tenu des exigences de la mer du Nord. Il nous faut aussi neuf sous-marines – trois pour chaque façade. Il faut absolument, et avec priorité, faire développer des drones pour des missions dans l’air, sur la surface et en dessous.

Nous avons une personnelle excellente mais beaucoup trop peu nombreuse. Il va prendre du temps à redresser ce problème surtout comme il y a beaucoup des officiers qui prennent leur retraites les années à venir. Le but sera d’avoir deux équipages pour chaque bâtiment opérationnel.

Il faut aussi mentionner les deux autres armées. Pour l’Armée de terre il y a surtout deux types de matériel qui seront renforcées : défense aérienne et artillerie. Pour la première, il agit de introduire les missiles Patriot et IRIS-T. Le nombre des canons Archer sera augmenté de 48 à 72. Les véhicules de combat seront rénovés mais il n’y aura pas des systèmes nouveaux avant 2030.

Sinon, il s’agit principalement du renouvellement des équipements, camions, armes à feu, etc., etc. acquis pendant la guerre froide. Les deux brigades existantes deviennent trois – sans d’équipement nouveau. Le nombre des conscrits va augmenter.

L’Armée de l’air va remplacer de nombreux systèmes d’aéronef. Le Grob 120 devient le nouvel avion d’entraînement. La première division de quatre JAS 39E sera déployée en 2026, 2 divisions de JAS 39 C/D seeront modernisées et conservées jusque dans les années 2030. De nouveaux missiles anti-aériennes sont acquis, ainsi que des missiles de croisière et de s’antisurface. Il y’aura aussi des nouveaux systèmes de veille aérienne.

L’armée de l’air a la responsabilité du domaine spatial et nous avons des collaborations avec les États-Unis et la France dans ce domaine. Nous voulons d’abord accroître la capacité Space Situational Awareness et puis Space Domain Awareness.

L’opinion publique suédoise a beaucoup évolué dans son rapport à l’OTAN depuis le début de la guerre d’Ukraine. Ce soutien va-t-il perdurer ? Au-delà, se traduit-il en termes de recrutement et de soutien à une politique de défense plus volontariste ?

Il n’y a pas des vraies dissonances quant à l’adhésion de l’OTAN. Le problème ici est la Turquie et ses exigences qui sont très controversées et même non-constitutionnelles. Mais c’est vrai que les débats en vue des élections ne touchent guère à la défense.

L’intérêt pour la conscription, l’engagement dans la défense territoriale volontaire (« home guard ») ou toute autre organisation de défense volontaire ne cesse de croître. Le nombre de candidats à la formation d’officier et de soldat reste élevé.

Plus largement, la Suède avait appuyé la mise en place du NORDEFCO (Nordic defence cooperation), qui avait joué un rôle de « pont » entre les pays neutres de la région et l’OTAN. Est-ce qu’il a un avenir après l’adhésion à l’OTAN ?

La coopération nordique restera importante à l’avenir, tout comme d’autres initiatives régionales au sein de l’OTAN. Il faut en particulier souligner la très étroite coopération entre les marins finlandaises et suédoises. Peut-être y aura-t-il un nouveau commandement Arctique-Nord-Baltique. Dans ce cas l’importance de NORDEFCO diminuerait probablement.

Je tiens à remercier le vice-amiral Ewa Skoog Haslum, Cheffe de Marine suédoise, et le capitaine de vaisseau Per Edling ainsi le général de division Karlis Neretnieks (R) et le lieutenant-colonel (air) Carl Bergqvist pour leur soutien.

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